Raised in the dark, the safety of our mountain home.

Il lui semblait marcher depuis des années même si elle n'en ressentait pas la fatigue. La naine n'était pas encore sortie des montagnes et errait encore et encore dans des couloirs tous plus sombre les uns que les autres. Elle ne tenait pas plus que ça à tomber sur des cavités où vivraient ses semblables. L'image de son peuple ouvrait en elle des blessures qu'elle préférerait voir éteintes pour toujours. Perdue dans ses pensées et dans sa rage, elle espérait davantage voir un démon pour l’occire et le faire souffrir autant qu'elle avait souffert. Mais si elle tombait sur plusieurs démons plus forts qu'elle... Haha, il valait mieux ne pas y penser. Quelle courge ! Ou plutôt courgette vu sa taille... Elle n'était pourtant pas si bête, qu'est-ce qui pouvait lui faire penser qu'elle survivrait à un guet apens ? Il faudrait qu'elle rejoigne un sentier moins dangereux mais... Non, elle devait sortir de ces mines. N'entendant que les bruits des sabots de son bel alezan et les siens, elle avança dans l'obscurité ambiante.

Les nains n'étaient pas dotés d'une vision infra rouge mais d'un sens de l'orientation inné pour se retrouver et se situer dans tous les territoires fermés. Elle tenait donc Pulse par les rênes et avançait en tête calmement. Pas la moindre lumière à l'horizon, c'était comme si la montagne s'était refermée comme un ravioli géant au dessus d'elle. Et pourtant, elle sentait de l'air circuler autour d'elle. Il y avait donc bien une sortie... Car effectivement, la montagne avait beau être une passoire creusée de mille galeries, peu nombreuses étaient celles qui laissaient passer l'air frais du monde extérieur.

L'épitaxie des cristaux qui l'entourait était étrange. A la différence de ceux qui grandissaient dans les galeries, ceux sur lesquels elle s'appuyait semblaient renvoyer une énergie qu'elle n'appréciait guère. Bien que le lieu était sauvage, il n'était en rien "pur". Essayant de presser le pas, elle se servit des flammes qui brûlaient dans ses yeux pour éclairer sa route dans l'obscurité. Sa détermination était bien supérieure à la peur et aux doutes. Ce qui ne l'empêcha pas de pousser un cri de cochon d'inde en sursautant quand elle sentit une présence dans les environs.

Se mordant l'intérieur des joues en maudissant l'effet de surprise, elle sortit son bâton pour combattre, prête à toute éventualité.C'était une grande créature lourde et pénaude et elle était déjà presque sûre de son origine. Fronçant les sourcils, prête à sortir également son orbe, elle se tenait prête à combattre. Quoi que ce fut, elle aurait bien aimé être accompagnée pour pouvoir vraiment utiliser son plein potentiel de soutien.

Ignace transpirait. Il faisait bien trop chaud dans ces contrées sombres et humides ! La sueur dégoulinait le long de son corps, tâchant ses vêtements qui étaient déjà suffisamment crasseux sans avoir à subir ce traitement, les gouttes de liquide verdâtre qui n'étaient pas épongées par du tissu se frayant un chemin jusqu'à ses délicats orteils. Le gobelin secoua ses pieds en les soulevant frénétiquement l'un après l'autre. Il tenta vainement de les lever les deux à la fois, mais, les gobelins n'étant pas pourvus d'ailes ni d'une quelconque capacité de lévitation, il retombait assez rapidement au sol, à son grand désarroi.

Une douleur cuisante dans le dos lui rappela soudain qu'il devait avancer, et qu'il n'était pas maître de ses mouvements. Poussant un petit couinement aigu, il fit une sorte de petit saut en avant pour échapper à la pointe de métal qui se pressait contre son épine dorsale. Suite à quoi il s'étala par terre de tout son long.

Craignant la punition de son geôlier, Ignace se dépêcha de se remettre debout, et s'employa à ne pas s'emmêler les pieds pour avancer plus vite. Il est important de préciser que lorsqu'un gobelin "s'emploie" à quelque chose, il le fait généralement assez mal. Mais le pire, c'est que tout ce à quoi il ne s'emploie pas, il le fait alors encore plus mal ! Par exemple, dans ce cas-ci, Ignace n'écoutait plus rien de ce qu'il se passait autour de lui, et le démon qui l'avait fait prisonnier dût le retenir par l'épaule pour ne pas qu'il continue de marcher, alors que cela faisait plusieurs dizaines de secondes qu'il lui avait intimé l'ordre de s'arrêter immédiatement.

"Je m'axcuse, ô daêmon ! Je ne...
- Silence vermisseau ! Tu vas nous faire repérer !
- Mais je m'axcûûse !
- Chut j'ai dit ! Tu n'entends pas ces bruits ? Ce sont les sabots d'un cheval..."

Ignace comprenait très bien ce qu'était un cheval, par contre il n'arrivait pas bien à saisir l'intérêt que portait soudain son geôlier pour cet animal. En quoi le cheval intimait-il le silence ?

"C'est vaûtre Deyeu ?
- Quoi ?
- Le cheval, c'est vaûtre Deyeu ? Vaûtre divinitae ?
- Mais qu'est-ce que tu baragouines encore ?
- Vous lui paûrtez le raespect ! Au point de vous taere !
- Je... Non je ne perdrai pas mon temps à essayer d'expliquer."

Le grand démon leva son immense poing à hauteur du visage d'Ignace, qui était devenu tout blanc pour l'occasion, perdant son superbe vert naturel qui faisait tout son charme.

"Tu parles encore, et je t'éclate la cervelle."

Les capacités intellectuelles extrêmement développées d'Ignace lui permirent de saisir la menace sous-jacente à cette phrase pourtant anodine au possible, et il décida donc courageusement de se "taere", comme il le disait si bien.

Le démon se plaqua contre la paroi en attendant que le cheval arrive, et força le gobelin à faire de même. Ils attendirent ainsi un moment dans le noir le plus total, mais peu avant que le cheval ne parvienne à leur hauteur, un cri assez aigu raisonna dans le lieu exigu. Ignace se plaqua les mains sur les oreilles, tandis que le démon lâchait un juron.

Alors qu'il ôtait lentement ses mains de devant ses oreilles, le gobelin put voir son geôlier se précipiter dans le passage, vers l'origine du bruit. Ne sachant trop quoi faire, l'être vert se décida à reprendre les activités qu'il avait cessé lorsqu'il avait été capturé par le démon. La fabrication de bombes artisanales.

C'était sa grande passion et sa raison de vivre. D'ailleurs, ce serait certainement aussi sa raison de mourir. Mais la chance insolente dont il avait fait preuve jusque là en mélangeant des espèces instables lui donnaient une assurance particulière dans ce qu'il faisait. Il s'employa donc à mélanger divers ingrédients sortis de son petit sac à dos, et chercha de quoi y mettre le feu dans ses poches cousues.

Tout content, il sortit fièrement deux pierres à feu qu'il s'employa à frotter pour produire les étincelles tant attendues. Il n'avait absolument aucune idée de ce qu'il se passait entre le cheval et le démon, probablement le second vénérait-il le premier en priant pieusement devant ses nobles sabots. A vrai dire, cela n'intéressait pas du tout Ignace. Seuls importaient le feu, l'explosion, et et...

" Qu'est-ce que quoi ? Nâon !

Au lieu du déluge de couleur auquel Ignace s'attendait, sa mixture dégageait un épais nuage d'une fumée âcre qui eut tôt fait d'envahir l'espace exigu, faisant monter les larmes aux yeux du gobelin artificier alors qu'il étouffait.

Tentant d'échapper à cette terrible mort par suffocation, il se mit à courir plus ou moins au hasard dans le couloir sombre. Mais la fumée s'épaississait et gagnait du terrain...

Il s'était... Passé des choses... Pour ainsi dire, une odeur nauséabonde commençait à monter dans le tunnel, emporté par l'appel d'air de la sortie lointaine. Du soufre ? Elle ne reconnaissait pas l'odeur caractéristique de la pierre jaune. Mais ses oreilles ne la trompait pas, quelque chose venait ! C'était léger et avait un pas irrégulier. La roche faisait écho des cris de mécontentements de la grosse créature et d'une respiration saccadée. La peur ? Était-ce la sienne ? Non, elle n'avait pas si peur, sans doute grâce à l'insouciance qui était sienne depuis quelques temps.

Ce n'était pas vraiment le moment de réfléchir... Attrapant le petit cheval par la bride, Iera se mit à courir dans la direction d'où venait la fumée. Le courant d'air disperserait de toute façon bientôt le gaz et essayer de le semer reviendrait à l'avoir plus longtemps encore dans le nez. Prête à en découdre avec le démon et à se méfier de la créature errante non identifiée, elle commença à réciter ses incantations pour que son arme soit dure comme le métal et légère comme le bois.

La traversée n'était pas agréable, même rapide. Le gaz brûlait les muqueuses et elle remercia presque l'endroit d'être naturellement sombre pour ne pas avoir l'envie d'ouvrir les yeux pour regarder autour d'elle. Les petits pas rapides croisèrent également sa route et son intuition lui dicta de sauver la créature qui ne se faisait pas du bien en courant si aléatoirement au milieu des gaz. Elle glissa son poing fermement là où aurait du se trouver son col en essayant de raffermir sa prise sur ce qu'elle pouvait. Ce n'était pas un nain. Ce n'était tout simplement pas quelque chose qu'elle connaissait.

Toutes ses question auraient leurs réponses plus tard. Elle arriva à hauteur du démon et lâcha la bride de Pulse, assénant un coup de bâton dans ce qu'elle aurait aimé être les rotules. Elle ne voyait rien. L'avait-elle eu ? Elle lui asséna un deuxième coup violent venant d'en haut. Serait-ce suffisant ? Elle pivota sur elle même et asséna une violente rotation qui toucha sa cible. Ça n'était pas suffisant ! Interminablement, Iera le rouait de coup, consciente que sans l'effet de surprise initiale elle n'aurait jamais pu le lyncher si facilement. Dans son autre main, la créature captive n'avait pas le choix de subir l'incessant manège de la naine partie dans une transe infernale.

Elle arrêta de frapper dans un éclair de lucidité, remarquant qu'elle respirait à nouveau normalement. A ses côtés, Pulse donnait des petits coups de naseau sur la créature qu'elle tenait. Se rappelant ce qu'il venait de se passer, Iera lâcha son trophée de guerre de façon abrupte, les yeux écarquillés et un air réellement désolé sur le visage, invisible dans la pénombre.

"O-oh, je suis navrée petit être ! Est-ce que ça va ? Tu n'es pas blessé ?"

Son instinct maternel ressortait. Elle ne savait pas ce que c'était mal elle ne voulait pas donner une mauvaise impression. Agenouillée, incapable de savoir si elle avait assommé ou tué la grande masse affalée derrière elle, elle agissait naturellement. Dans le noir, il n'y avait pas de préjugés. Et heureusement pour le gobelin.

La gorge lui piquait, ses yeux globuleux étaient asséchés, ses pieds lui faisaient mal, un désagréable arrière-goût de fumée âcre persistait sur sa langue, il respirait mal, et une brûlure aux poumons le faisait siffler à chacune des inspirations qu'il arrivait à prendre. Autant dire qu'Ignace allait très bien. Du moins pour quelqu'un qui est passé à deux doigts de la mort par suffocation, et qui ne devait son salut qu'à une aide inespérée, aide apportée par la personne qui se trouvait à présent devant lui.

               Mais ça, le gobelin était incapable de s'en rendre compte. Assis sur le sol rocheux et inconfortable de la cavité, il regardait avec de grands yeux disproportionnés pour sa tête verdâtre, la naine au-dessus de lui. Quelques vaisseaux sanguins éclatés à la marge des globes oculaires du gobelin coloraient ceux-ci d'une note rouge assez inquiétante. Rapidement, il passa sa langue râpeuse plusieurs fois sur ses lèvres sèches pour tenter de les humidifier quelque peu.

               Il avait connu un nain autrefois. Ca c'était mal terminé, plus mal pour le nain que pour Ignace, et le gobelin n'était pas complètement étranger à l'accident qui avait mené à leur séparation soudaine et anticipée. A vrai dire, il en était même carrément le seul auteur. Mais tout ça c'était du passé, et les souvenirs d'Ignace étaient plus que flous à ce sujet, ce qui était en partie dû au fait qu'il n'avait pas tout compris aux évènements d'alors lorsqu'il les vivait.

               A part la taille et un petit quelque chose dans les traits de son visage, la naine qui toisait Ignace ne ressemblait pas vraiment au nain que le gobelin avait connu. Cette grande différence permit au petit être vert de bien différencier les deux personnages, son défunt compagnon et sa vivante sauveuse, ce qui fut déterminant pour le dialogue à suivre.

"O-oh, je suis navrée petit être ! Est-ce que ça va ? Tu n'es pas blessé ?
"Bobo gobert ?"

               Ignace avait à peu près réussi à associer le terme de "blessé" à une douleur physique, mais il était incapable de comprendre que la naine s'enquerrait de son état de santé. C'est pourquoi il lui retournait sa question, innocent comme un nouveau né.
               Puis, oubliant instantanément qu'il avait posé cette question, le gobelin se remit tant bien que mal sur pieds, et tendit sa main droite comme le faisaient les humains lorsqu'ils croisaient quelqu'un.

"J'Ignace ! Qu'est-ce que tu, vous ?"

               Très fier du tact et de la bienséance dont il faisait preuve en se présentant ainsi, Ignace se demanda même s'il n'y était pas allé un peu fort avec les formules de politesse et l'étiquette irréprochable qui l'animaient... L'inconnue allait-elle le prendre pour un noble devant tant de savoir-vivre ? Heureusement pour le gobelin, il n'eut pas le loisir d'approfondir la question. Des bruits de pas se firent entendre dans le couloir sombre, des pas qui se rapprochaient certes lentement mais régulièrement.

               De nombreuses patrouilles de l'armée démoniaque avaient l'habitude de faire des rondes plus ou moins au hasard dans ces cavernes où les chevaliers infernaux étaient le plus à leur aise pour exploiter leur impressionnant potentiel destructif. Lorsque ces fameuses patrouilles ne s'étripaient pas entre elles en se croisant au détour d'un boyau rocheux, elles n'hésitaient pas à tuer ou capturer tout être vivant qui osait s'aventurer si près de leurs terres...

               Ignace baissa la tête comme un chien battu, rabattant ses oreilles en arrière. Il avait déjà été capturé par un démon, et il venait à peine de s'en débarrasser miraculeusement : hors de question qu'il se refasse avoir ! Le petit être vert fit alors preuve de la légendaire intelligence dont jouissait sa race, et décida... de se mettre à courir. Vers les bruits de pas.

               En criant.

La naine n'avait pas le temps de comprendre ce que le machin demandait. Il faisait trop sombre pour qu'elle le voit et ses propos étaient également trop obscures pour qu'elle les comprenne. A vrai dire, si, elle avait interprété les propos, mais elle était bien loin du sens réel de ces mots, si tentés qu'ils en aient...

"Je vois rien du tout et je m'appelle pas Giniasse... Je m'appelle Iera... T'as du prendre un sacré coup..."

Elle aurait voulu le regarder avec un peu de pitié dans le regard mais ni l'un ni l'autre ne pouvait se fier sur ses yeux pour comprendre mieux la situation. Et elle fut de toute façon coupée dans son élan mélodramatique par... Le machin en personne. La petite créature avait en effet commencé à cavaler et son ouïe l'informa vite du pourquoi ! Une patrouille, c'était bien sa veine ! La naine se ficha éperdument d'être repérée, il fallait fuir avant que la cavalerie arrive ! Ni une, ni deux, elle réagit du mieux qu'elle put, utilisant ses propres enchantements pour courir plus vite. Le demi-tour serait moins facilement négociable mais tant pis ! Avant de partir, elle donna une claque sur la croupe de Pulse pour qu'il s'enfuie dans la direction qu'elle avait prévu d'emprunter ensuite. Sachant que les sabots alerteraient les démons encore plus rapidement, elle ne perdit pas une seconde de plus en réflexions inutiles. Aussi rapide que sa monture bien que beaucoup moins maniable, elle s'élança comme une flèche en direction du gobelin qui se rapprochait de plus en plus du point de non retour.
Arrivant à son niveau, elle dut se concentrer pour lui mettre le grappin dessus à temps et s'arrêter sans déraper sur dix mètres. Amorçant difficilement le demi tour, elle repartit de plus belle dans le sens contraire, ne prenant pas le temps de regarder où en étaient les démons qui les avaient repéré à cause du bruit. Ne pas regarder en arrière et avancer, c'était son credo et il était temps de le mettre en application plus que jamais. Elle murmura un enchantement pour renforcer sa tunique au cas où elle se prenait un projectile dans le dos pendant la fuite et continua de courir, traînant la créature qui touchait à peine le sol à cause de la vitesse de course. Elle ne rattraperait pas son destrier mais ce dernier la guiderai sûrement à l'instinct vers un endroit dégagé.
Toujours fatigable, elle espéra juste que ce n'était pas trop loin. Elle sentait le sang battre dans les veines de ses tempes et le stress accélérer son coeur. Dans un geste maternel, elle pensa à protéger le pauvre petit... Truc en ramenant son bras, et le rabattant dans le même mouvement devant elle, le plaquant contre sa poitrine. Sa respiration était saccadée et elle ne remarqua pas que la créature n'était pas "humaine". Elle ne savait pas ce que c'était et valait mieux pour le moment. Elle réussit tout de même à glisser quelques mots à son intention dans son élan, n'étant pour le coup pas plus compréhensible que lui.

"Refais... Gaz... Vite..!"

L'air circulant était avec eux, autant en profiter... Elle avait remarqué qu'il avait sur son dos du matériel puant qui lui rappelait sa course précédente. Elle desserra légèrement sa prise autour de sa taille pour le tenir sous les fesses et aux épaules comme un enfant. Il avait les mains libres et normalement un peu d'espace pour bouger. Elle se prépara mentalement à retenir sa respiration en pleine course et laissa le petit être faire son oeuvre...