Comme une ombre [pv]

Lorsque Gabriella revint dans la cabane, elle retrouva un guerrier épuisé, mais fier, se reposer aux côtés de son armure. Cette dernière reluisait de propreté. L'entretien semblait quotidien, et elle devait bien admettre qu'elle avait un certain charme et énormément de prestance. La lance se trouvait peu loin... Ce garçon s'était assoupi auprès ce qui lui restait de sa famille, de son passé mais aussi, indirectement, de son futur. Elle représentait peut-être sa fierté et son courage. L'elfe ne se posa pas davantage de questions, et voyant la couchette vide, ne se fit pas prier et alla se reposer. Elle eut un bâillement à se faire décrocher la mâchoire avant de s'endormir pour de bon. Son sommeil fut mouvementé, comme à son habitude. Son corps tremblait, ses doigts se crispaient tant bien que mal aux draps. Elle fronçait des sourcils, sa respiration s'accélérait. Ses rêves se ressemblaient, toujours aussi violents, toujours aussi incompréhensibles, présage de menace ou de malheur. Elle finit par sursauter, son corps en sueur. Elle jeta un oeil sur le côté, tombant sur un cavalier toujours assoupi. Elle se redressa, la gorge sèche. Elle toussota discrètement. Elle sentait encore son pouls venir frapper ses tempes. Ses mains tremblaient, bon sang, elle devait se ressaisir. Elle mit un pied à terre, et le froid du sol la réveilla. Elle s'étira, tel un félin, souple et élégante. Elle regarda par la lucarne. Il faisait encore noir, signe que la nuit n'était pas encore finie. Elle finit par soupirer. Elle remit ses vêtements en place, dont sa fine armure. Elle prit sa cape qu'elle avait délaissé avec nonchalance à terre. Elle s'approcha de Valentine, et le secoua brusquement. Il était temps de se réveiller. Elle n'attendit pas de réaction, se contentant de bailler, trahissant un manque cruel de sommeil. Elle soupira en pensant au trajet qui devrait faire. Ce n'était que trois bonne heures de route. Mais, elle ne comptait pas s'arrêter à Ghyelle, souhaitant tracer sa route vers le nord. Elle but de l'eau d'une des gourdes qu'elle avait préparé la veille et finit par dire d'une voix mal réveillée

"Bien, je t'amènerai à la Tour, moi je continuerai dans le Nord"

Elle finit par sortir, recevant la brise du matin en plein visage. Les premiers oiseaux chantaient timidement, alors que l'on soupçonnait à l'horizon une lueur d'aube. Gabriella sourit. Cette journée ne s'annonçait pas si mauvaise que ça au fond. Elle venait de rencontrer un humain différent, elle venait de croiser un autre esprit, et étrangement, cette différence de lui déplaisait pas. Elle se mit à rougir, laissant échapper un léger rire. La vie pouvait réserver d'étranges surprises. Elle flatta l'encolure de sa monture. Elle avait pris son fidèle compagnon pommelé, même si le cheval ne lui appartenait pas. Cependant, c'était le seul à accepter le fait qu'en plus d'une elfe sur son dos, un serpent venimeux se baladait en sa compagnie. Elle recentra la selle, monta et le cheval hennit. La monture d'à côté était celle de Valentine. Elle jeta un oeil. Une superbe bête, un cheval qui avait du couter des yeux de la tête! Elle détourna le regard tout en haussant les épaules. Les fils de riches, vraiment...
Elle jeta un oeil à l'arrière de sa selle, s'assurant que toutes les vivres et ustensiles divers s'y trouvaient toujours. Elle sentit sa ceinture où se trouvait sa fidèle Damoclès, et dans sa botte droite, sa petite dague, Wind. Elle resserra les rênes, prête à démarrer. Une semaine de route, et elle laisserait Valentine à son sort!

Le jour se levait à peine lorsqu'ils prirent la route. Valentine regagna sa monture, à la fois soulagé et satisfait. Cela crevait les yeux qu'il était fier de sa monture, il était fier tout court. Il avait une prestance particulière dans cette armure dorée qui mettait étrangement en valeur son visage et sa chevelure clair. Il semblait être un preux chevalier qui ne quitterait pas les sentiers battus de ses convictions quoiqu'il advienne. Gabriella restait posée sur sa monture. Elle en était aussi fière, même si elle ne lui appartenait pas, à son grand damne. Ce cheval pommelé, elle l'avait choisie d'un point du vue très simple: sa robe était tantôt clair, tantôt sombre, se confondant dans ce paysage enneigé. Elle foulait le sol avec grâce et souplesse, tout comme la cavalière qui la montait. Elle avait un caractère bien trempé, et respectait chaque ordre de la femme qui surplombait son dos. L'elfe et le cheval était en parfaite harmonie. La rôdeur donna un coup dans les flancs de la bête et ils prirent la route. Le temps était ensoleillé, comme un hiver infernal. Le soleil se faisait percevoir à l'horizon mais ses fins rayons ne les atteignaient pas encore. Elle resta silencieuse, restant droite sur sa monture. Sa cape venait caresser les reins de sa monture, alors qu'elle remonta avec nonchalance le col, masquant en partie son visage. Bien que ce n'était que l'aube, le vent n'allait pas tarder à se lever, venant souffler sur ce sol bien trop parfait et brillant, révélant à la fois beauté et misère. La neige était quelque chose qui avait cessé de fasciner Gabriella depuis le jour où elle ne cessa de tomber. Ce Royaume de froideur n'avait rien de splendide lorsque la routine s'installait, il en devait triste et maussade. L'elfe vint à se poser la question s'il existait d'autres Royaumes aussi puissants. Elle n'avait jamais dépassé les frontières, que ce soit au Nord comme au Sud, en sachant que le Zénith lui était plus ou moins inconnu. Elle soupira alors qu'elle observait du coin de l'oeil Valentine venir flatter l'encolure sa monture.

Elle ne fit aucune réflexion, se contentant de retenir un soupir de lassitude. Cette joie au fond des prunelles du jeune homme avait tendance à l'écoeurer, quoique, quelque part, elle ressentait une pointe de jalousie. Se pouvait-il qu'elle envie son insouciance? Il était si pur à sa manière. Il n'avait pas perdu sa gaité d'enfance, ni le courage dont faisait preuve les héros dans les Comtes de fées. Il était l'image de son rêve: un chevalier partant à l'aventure. Il espérait gagner en estime, et elle pouvait le comprendre. Il était d'une grande lignée, même si le nom Goldenrod lui était totalement inconnu. Ce n'était pas très surprenant, elle avait tendance à mettre une distance importante entre la race humaine et elle. Moins elle les voyait, mieux elle se portait. Elle secoua la tête alors que Valentine ouvrit la bouche pour partir dans une longue tirade. L'escorter? Elle retint un rire moqueur. Vraiment, des deux, elle se demandait bien qui escortait l'autre... Elle n'émit aucune réflexion, l'écoutant jusqu'à la fin. Il recherchait des camardes, n'y avait-il aucun autre preux chevalier qui serait motivé de partir en croisade avec lui? Le mystère de la Tour excitait plus d'un guerriers. Une fois à la Tour, il serait fort probable qu'il trouve chaussure à son pied, du moins, l'espérait-elle. Le Nord était ardu, il était cruel avec les plus faibles. Elle vint à douter tout de même de la force de Valentine, non physique, mais mental. Il était sentimental, émotif, et un rien l'atteignait, comme un enfant en soi. Elle soupira et répondit froidement

"Je t'accompagne à la Tour, là tu trouveras des compagnons, crois-moi. Je n'ai pas besoin d'escorte..."

A ses yeux, on ne pouvait mieux compter que sur soi-même. Bien, que sans le savoir, elle avait un certain attachement pour ce beau chevalier, elle restait méfiante, doutant de sa sincérité à chacune de ses paroles. Il restait humain, et bien que sa bravoure à tenter de réconcilier les camps l'avait touchée, elle préférant néanmoins mettre une distance entre eux deux. Elle ne voulait pas jouer dans le sentimental, cela altérerait sa vision des choses, sans compter qu'elle ne souhaitait en rien devenir aussi joviale et innocent que lui. Elle avait des guerres, elle avait tué, elle avait souillé ses mains si fines de sang, elle avait perdu la notion de la conscience, elle avait fermé son coeur à tout jamais. Et bien que Valentine ait chamboulé plus d'une de ses idées toutes faites, elle craignait trop de le perdre. Etrange n'est-ce pas? Il était plus facile de se détacher d'une personne dès le début que de s'y attacher en vain et de la perdre dans des circonstances douloureuses. Leurs races n'étaient pas compatibles, et elle ne croyait plus en l'amitié depuis longtemps. Les seules valeurs qu'elle protégeait était la loyauté et le courage. Sa vie n'aurait plus aucun sens si une autre valeur venait à s'y ajouter. Ce trajet lui sembla soudainement long, très long! Sept jours à la compagnie d'un humain utopiste qui avait la langue bien pendue. Elle ne sut dire si c'était un manque de chance ou une punition d'un être divin qui lui serait inconnu.

Ils continuèrent la route jusque ce que le soleil fut haut dans le ciel. Il serait opportun de nourrir les bêtes. Le mieux était de descendre davantage pour aller dans les vallées sauvages. Il faudrait éviter les chemins trop fréquentés histoire de ne pas tomber sur une mauvaise rencontre. Dans la tête de Gabriella, ils devraient longer le fleuve lorgnant de loin le territoire des nains pour piquer vers les prairies fleuries et de là remonter vers la Tour. Les vallées sauvages étaient belles et bien sauvages, mais surtout tristes. Le sol y était à l'abandon et un vent glacial y soufflait. Les brindilles se faisaient rares. Elle fit un signe de la main, invitant Valentine à s'arrêter. Elle descendit de sa monture et dit à l'adresse du garçon

"On fait une pause d'une heure, le temps d'abreuver les bêtes et qu'elles puissent se nourrir. Profitons aussi pour reprendre des forces..."

Elle allongea les rênes, faisant comprendre à l'animal qu'il avait libre arbitre. Ce dernier renifla machinalement le sol, grattant ce dernier en quête de jeunes pousses. Quant à Gabriella, elle prit un gourde remplie d'eau et un autre sac en toile épaisse où se trouvait des morceaux de viande séchée. Par un froid pareil, les protéines étaient les bienvenues. Elle s'assit à même le sol, et leva les yeux. Le ciel était d'un bleu immaculé. Etrange, généralement, il teintait vers le gris. Serait-il possible que Valentine amène la chance avec lui? Elle haussa les épaules à cette idée et mangea, en silence, avant d'ajouter

"Il faut gagner au plus vite le bas du fleuve. Nous dormirons près du territoire des nains cette nuit. Il nous faudra être silencieux si nous ne voulons pas mourir dans notre sommeil..."