Lui, c'est moi. Elle, c'est eux. Nous sommes je.

« Il est vrai qu’il est totalement absurde d’essayer de décrire un doppelganger. Ça revient un peu à faire la conversation à un sourd-aveugle-muet-mort ou à avouer son amour à une huître, en espérant intensément qu’elle partage vos sentiments en retour. Mais toi, comme tous les personnages d’histoire, tu n’es pas comme les autres, Aisya. Loin de vouloir rester cette silhouette informe qu’est ton apparence originelle, tu as opté pour copier le corps d’une seule personne, en priorité. Tu as la capacité de te changer en ce que tu souhaites, dans la mesure du réalisable. Néanmoins, lorsque tu ne te prêtes pas à tes petits jeux de polymorphismes, tu tiens à conserver l’apparence suivante : celle d’une jeune femme. Sans doute très belle, au départ. Mais bien vite, ton caractère et tes humeurs s’inscrivent dans sa peau, comme si tu l’avais un peu trop forcée. Une peau hâlée, un grain de beauté en-dessous de l’œil, un regard perçant, des yeux glacés, et des lèvres sinueuses. Oui, tout cela aurait pu rester parfait si ça n’avait pas été toi à l’intérieur. Tu as chéri la personne à qui il a appartenu, mais voilà, avec le temps, tu t’es presque lassé d’en prendre soin. La peau douce s’est durcie de cicatrices, le grain de beauté est toujours là, menaçant, le regard s’est durci et est aussi glaçant que sa couleur, les lèvres se sont gercées, et se crispent un peu trop souvent. Celle a qui il appartenait ne laissait jamais rien transparaître sur son faciès étranger, comme si elle avait craint de le froisser. Toi, tu l’as laissé vivre, au rythme de tes rares émotions, lui conférant ainsi le souffle de vie qu’il semblait lui manquer. Toutefois, tu as conservé sa manière d’être ; celle d’une fille des rues, une fille de rien qui se débat dans la boue pour s’en sortir. La fille des rues qui n’aurait jamais dû l’être. Celle que l’on soupçonne de venir d’en haut. Des colifichets pleins les oreilles, des plumes dans ses longs cheveux noirs qui ne semblent avoir jamais vu l’ombre d’un peigne. Des anneaux autour des doigts et des chevilles. Des jupes de toutes les longueurs s’évaporant sur ses hanches. Des écharpes, des voiles, des lanières de cuir et des cordes de soie qui font un vacarme épouvantable au moindre de ses mouvements. Tout ça, tu en as hérité. Tu as hérité du corps de cette belle demoiselle, à son grand désarroi, et même au péril de sa vie. Mais ça, c’était pas fait exprès, hein ? Et puis, quoiqu’on en dise, tu en prends soin. La preuve, tu n’as pas cessé de te transformer en tout et n’importe quoi, surtout pendant les combats. Jamais tu ne prendras le risque d’abîmer cette si jolie silhouette dans laquelle tu te fonds à présent avec une facilité déconcertante. Vous étiez faits l’un pour l’autre, tu le lui avais bien dit. Si seulement elle t’avait accepté dès le début, ce petit ange des enfers. »