Tous ensemble, toi et moi, nous sommes un !

Valentine était enfin rentré chez lui pour déposer ses affaires et annoncer le résultat de son voyage à sa famille. Apparaissait alors un problème de taille... Comment annoncer "je me suis lamentablement raté dans ma quête, le seul camarade que j'ai trouvé a tout fait pour se débarasser de moi et finalement je viens chercher un camarade en ville parce que c'est un peu complexe tout de même" sans passer pour un gros loser ou sans attiser la colère et l'exaspération de sa famille ? Effectivement, il risquait de lancer la honte sur le domaine de ses ancètres, mais se serait sans compter sur cette superbe ingéniosité nommée diplomatie. Après avoir déposé Lune-Argent à l'écurie sous les salutations de tous les travailleurs que l'héritier des Goldenrod s'avança d'un pas décidé vers l'entrée de la demeure familiale. Alors que les membres de sa famille accouraient tandis que son arrivée était annoncée par le valet dans tout le domaine, Valentine attendit patiemment dans l'entrée, encore vêtu de son armure, dégageant sur son passage les douces odeurs des voyages difficiles. Une fois que tout le monde fut rassemblé et salué, il entreprit d'annoncer les résultats de son glorieux voyage d'un point de vue tout personnel. La voix claire et le ton enthousiaste, il avait l'air d'un chef de guerre revenant d'une grande bataille.

"Chers membres de la grande lignée Goldenrod, sachez que je reviens ici en temps que vainqueur ! Je n'ai certes pas encore accompli le but final de ma quête, mais j'ai accompli ce qu'aucun homme n'avait réussi auparavant ! Je suis allé jusqu'aux terres boisées des elfes et ai réussi à sympathiser avec un des représentants de leur race. Je ne pouvais pas l'entrainer dans ma quête car la pauvre elfe aurait ainsi manqué à son devoir auprès de son peuple mais elle a pris le temps de m'accompagner jusqu'au fleuve séparant nos deux civilisations ! Je suis revenu ici chercher un second camarade qui me sera plus facile à recruter en premier temps, le temps que l'elfe remplisse son devoir et demande l'autorisation auprès de son peuple de nous accompagner ! Je ne sais pas le temps que cela prendra, mais je serai l'investigateur de la paix entre nos deux cultures ! Humains et elfes pourront ainsi bientôt s'allier sans contraine et sans préjugés !"

Le bras levé vers le ciel, une flamme dansant dans ses yeux, la fin de sa tirade fut accompagnée d'applaudissements et de cris de joie de sa famille. La suite de la journée se déroula dans une ambiance festive ; tous fêtaient le retour du valeureux lancier doré. Lorsqu'il s'endormi, ce fut l'esprit serein. Il n'avait pas de remord à avoir, sa version des faits n'était pas fausse, juste embellie à la façon des contes et légendes, et il avait bien l'intention de devenir ce genre de héros pour Ghyelle. Perdu dans ses rêves d'enfant, Valentine sombra dans un sommeil bien plus réparateur que jamais.
Le lendemain laissait encore entrevoir le soleil derrière quelques nuages blancs. Il neigerait sûrement dans la nuit... Il tâcherait donc de trouver son futur camarade dans ce laps de temps. Vêtu de son armure entre-temps récurée et accompagné de sa monture ravitaillée ainsi que d'un nouveau baluchon rempli de provisions, il fit route vers les bâtiments du Cercle. Il n'avait que très rarement eu l'occasion de se rendre dans le coin, même accompagné de son père, mais il connaissait le chemin de mémoire et de réputation. Son paternel avait l'habitude de dire "après la fontaine, tu suis les mecs en robe". C'était à peu près ça... La population était vraiment différente d'un quartier à un autre et les quartiers du Cercle ne faisaient pas exception. C'est alors qu'une scène attira l'attention du guerrier. A l'ombre d'un bâtiment, des bruits facilement associables à la magie se faisaient entendre. Accourant par peur d'un combat dangereux risquant de mettre en péril la vie de pauvres innocents, Valentine dérapa face à la ruelle, sa lance pointée vers la source du bruit sans se préoccuper de ce qu'il se passait vraiment.

"Halte là, vous qui troublez l'ordre public, je vous somme d'arrêter vos activités sur le champ !"

C’était une bien belle période pour l’entraînement, dans les quartiers des cercles, un jeune homme s’entraînait en extérieur, voulant maîtriser à tout pris l’élément auquel il était dévoué, le feu. Dans son ordre on le considérait un peu comme le jeunot, alors que la moyenne d’âge des gens du cercle était un peu plus haute, lui venait à peine d’avoir dix huit ans et utilisait sa magie de façon assez originale. Les hautes sphères du cercle de feu, conscientes du besoin de se dépenser aussi physiquement que mentalement de l’apprenti pyromancien, avait fait installer, à sa demande, des mannequins résistants au feu, pour qu’il puisse travailler dessus sans devoir le faire changer toutes les cinq minutes. La végétation autour de sa zone d’entraînement était inexistante, à force de travaux enragés et quelques peu… chaleureux.

Toutes ses journées étaient découpées de façon identique, il dormait quatre heures dans la nuit, puis se levait, prenait un petit déjeuner et allait passer quelques heures à lire, pour travailler mentalement, ensuite il allait déjeuner, puis passait trois heures sur son travail physique, en lacérant non stop ses cibles de frappes humainement mortelles, vu qu’elles étaient faites avec des armes de feu, tantôt un fouet, tantôt une longue épée et parfois il tentait de matérialiser une hallebarde, qui pour l’instant était très instable. Après ces trois heures là, il prenait un repos de cinq à dix minutes avant de passer deux heures à travailler sur la pyromancie pure, donc les vortex de flammes, les boules de feu et autres sors flambants. Puis il finissait son entraînement avec un combat en situation réelle avec une invocation, c’était la seule étape dont le temps n’était pas totalement défini, vu que parfois il s’en tirait plus vite que d’autres.

La journée précédente avait été forte en défi, l’invocation ayant été faite de façon à lui donner plus de mal que les fois précédentes, il avait passé quatre heures à la combattre et avait légèrement empiété sur son temps pour le dîner, se couchant donc à peine plus tard que t’habitude, ce n’était que de l’ordre d’une demi heure certes, mais cela représentait une petite durée tout de même pour une nuit assez courte.

Le jour n’était pas encore levé quand Kaomhin était prêt à aller à la bibliothèque, ce après quoi comme d’habitude il prit son repas et repartit dans son lieu d’entraînement. Après quelques petits échauffements, il créa donc son fouet de feu, avec lequel il aimait jouer vu qu’il pouvait en faire une utilisation souple et relativement rapide, le seul bémol reste que c’était bien son « arme » la plus bruyante, à cause des claquements et des crépitations du feu, combinée aux bruits du feu magique libérant un bruit presque électrique en touchant ses mannequins. Après quelques passes, il entendit un bruit venant de derrière lui, le temps de se retourner il vit un homme imposant, portant une armure reluisante de beauté, pointer sa lance vers lui en lui disant de stopper toute activité.

*Qu’est ce qu’il me veut lui ? Interrompre un entraînement devrait être puni… vraiment...* se disait-il alors à ce moment, il fit donc disparaître son arme de feu et rangea la dague qui lui servait de manche pour ce dernier. Après cette pensée pour lui-même, son arme rangée, il s’avança tranquillement vers le robuste individu, un petit sourire forcé sur la bouche, difficile de croire que ce jeune homme puisse être un magicien du cercle, vu qu’il ne portait jamais la bure connue de tous, mais une tenue différente, qu’il avait tenu à garder, plus pratique pour son utilisation de la magie comme il disait toujours.

-Eh bien, brave guerrier, je vous salue, je me prénomme Kaomhin, magicien du cercle de feu, que puis-je faire pour vous aider? Il savait bien que la réponse donnée n’était pas très bien placée face à la réplique de l’homme en armure, mais il espérait vraiment que la réputation de ces aventuriers serait appliquée, il voulait voyager et enfin appliquer son travail en situation réelle.

L’homme se tenait maintenant en face de lui, enfin plutôt, Kaomhin était venu se placer en face de l’homme, un petit sourire au coin des lèvres et les bras croisés à la poitrine, il attendait simplement une réponse de cet individu fort vigoureux et apparemment assez bête pour venir en hurlant près d’un être qui aurait pu, s’il s’était senti vraiment menacé, lui mettre littéralement le feu aux fesses. Restait simplement à voir ce que voulait cet étranger, peut-être cherchait-il simplement un membre des hautes sphères d’un des cercles magique? Si oui, il serait bien dommage, la vie dans ces quartiers commençait à ennuyer le jeunot, il avait besoin d’aventure et il faut bien l’avouer, avait envie de faire connaître son nom.

Finalement, il n'y avait pas de raison de s'inquiéter et comme il fallait s'y attendre, Valentine passait pour un parfait imbécile. Dans un premier temps, il avait essayé de faire un rôle qui n'était pas le sien, c'est à dire garde de la ville. Secundo, il avait agit sans réfléchir et sans être sûr que son intervention valait le coup. Et dernièrement, il n'avait vraiment pas besoin de hurler pour se faire remarquer avec son armure dorée dans le quartier des mages. Il se retrouva donc en face à face avec un jeune homme - ou jeune femme, le doute était permis - aux longs cheveux sombres, vêtu d'un accoutrement bordeau fort bien assorti qui fut cependant clément quant au sort de son aîné. Grand bien lui en fasse. Après avoir éteins les flammes magiques qui avaient attirées le guerrier en ce lieu et rangé la dague ridicule que Valentine ne prit même pas le temps de commenter intérieurement, le "petit" individu s'approcha avec un air de défi sur le visage. Lorsqu'il prit la parole, l'héritier de Ghyelle fut figé sur place, totalement choqué de voir ses craintes se confirmer.

*Un homme ? Il a dit qu'il était UN magicien, donc oui, ça doit être un homme... Est-il cependant possible d'être si petit en étant mage ? Ce n'est pourtant pas un enfant on dirait, son corps semble entièrement développé ou presque, si ça se trouve, il se peut qu'il ait mon âge ! Non ! C'est impossible ! Père, mère, soyez sûre que je suis fier d'être votre fils ! Dire que j'aurais pu ressembler à ça ! Est-ce que c'est possible de tenir une lance avec cette carure ? J'étais au courant que les mages étaient frêles, mais là ce n'est plus un homme, c'est une crevette ! Je me demande si ça a un rapport avec le fait que les mages soient en robe... Aaaargh, qu'il est horrible de se dire que cet homme est plus féminin que certaines servantes du domaine ! Il ne serait même pas capable de faire la vaisselle sans se briser un os ! Un homme se doit d'être fort et viril, de protéger les faibles et de porter ses camarades blessés ! Non... Les mages sont forts à leur manière, les membres du cercles sont respectés depuis des génération pour leur aide précieuse... Mais est-il réellement possible de confier ma vie à un camarade pareil ? Ou peut-être devrais-je le considérer comme... Une femme ?*

Silencieux, les yeux écarquillés, immobile depuis presque dix bonnes secondes, Valentine avait mis du temps à faire le ménage dans ses pensées. Il avait toujours eu certains préjugés un peu vieillots dus à son éducation très stricte et le problème soulevé par la condition de mage était très loin de sa culture guerrière. Il tâcha cependant de reprendre ses esprits rapidement et surtout d'agir avant que son comportement ne paraisse trop suspect. La conclusion de son débat intérieure prenait forme petit à petit : cet individu est fort comme un homme mais faible comme une femme, sur qui on doit compter sans trop en attendre non plus. En clair, c'était un bon défi pour le futur héros de Ghyelle ! Ni une, ni deux, le soldat s'inclina poliment face à son interlocuteur. Répondant à sa description du jeune homme, le ton du guerrier oscillait entre le gentleman qui ferait attention à une jeune demoiselle et le fier soldat au rapport auprès d'un semblable. Impensable ? Tout à fait, mais pas impossible pour le guerrier quelque peu désemparé.

"Navré de vous avoir interrompu, monsieur Kaomhin, je n'avais pas pensé à vous déranger lors de l'exercice de vos fonctions, je tenais juste à m'assurer que la situation n'était pas dangereuse pour la ville et ses citoyens. Je ne vous retiendrais pas plus longtemps, rassurez vous, mais si vous saviez où je pourrais trouver des mages en quête d'aventure pour m'accompagner dans une mission, je vous en serais reconnaissant."

Son sourire de "noble héritier vendant son talent et ses charmes au bas peuple" (selon ses propres termes) affiché sur le visage, Valentine espérait une réponse rapide afin d'oublier cette situation embarassante rapidement. Il avait croisé des dizaines de mages robustes en venant ici, alors pourquoi entre mille fallut-il qu'il tombe sur une crevette effeminée arrogante et qui correspondait à ses critères de recherche de compagnons ? Le destin lui en voulait donc à ce point ? Déjà que la plus belle créature qu'il avait vu de sa vie avait essayé de le tuer puis avait tenté par tous les moyens de se débarasser de lui, il fallait en plus de ça que l'image de "la belle assistante qu'il protègerait corps et âme" soit un homme ? Il avait besoin de se passer la tête sous l'eau rapidement mais encore une fois, il sembla que le destin en décida autrement...

Son entraînement venait d’être interrompu par un homme de forte carrure mais dont le visage trahissait sa jeunesse et l’armure sa richesse, il devait sans doutes être un noble de la ville, mais qu’il était drôlement ridicule dans sa tentative d’héroïsme raté, noble, sans doute, mais quel idiot.

Une chose était sure, Kaomhin retenait un rire dans ses entrailles devant la tentative de réflexion de l’homme, qui affichait une moue bien amusante, c’est sur que de tomber devant un jeune homme aux cheveux longs de cette taille et de cette carrure, pour un guerrier, ça donnait l’impression de s’adresser à une demoiselle, mais le jeune magicien espérait sincèrement qu’il soit tout de même assez intelligent pour prendre en compte le fait qu’il était en face d’un membre du cercle de feu, le cercle de la puissance magique, le cercle qui pouvait, en se rassemblant, détruire la ville en quelques minutes.

Que le discours qui s’en suivit était pitoyablement bien formulé, entre une allégresse maîtrisée pour une jeune femme et des paroles envers un homme digne de ce nom, pour qui se prenait-il? Mais bon, que demander de plus ? il était robuste et il donnait une occasion de filer un temps de l’académie et de la routine pour aller un peu à l’aventure, c’était ça qui comptait le plus… peu importe qu’il n’avait que trois neurones qui se battaient en duel.

-Eh bien, monsieur, que de belles paroles, je ne vous cacherais pas que votre hésitation et votre situation de manque pas de m’amuser, je m’en excuse, je ne suis qu’un jeune homme après tout. Mais vous dites chercher un compagnon pour vos aventures hors du domaine? Je pense pouvoir vous aider, personnellement.

Ces paroles furent prononcées avec un petit rire étouffé au début de sa prise de parole, mais il sut tout de même reprendre son contrôle assez rapidement. Mais il savait également que pour être pris au sérieux par un homme si imposant, qui ne devait compter que sur la vigueur et sur des bras de titans, il lui faudrait faire ses preuves, histoire de démontrer qu’il détenait une force qui dépassait de loin le simple entendement d’un bras humain, les pouvoirs des flammes, le pouvoir de la destruction pure. Alors pour commencer, en petite provocation amicale, en un petit claquement de doigts, il fit courir de petits feux follets autour de l’armure resplendissante de l’inconnu, ces petites flammes n’étaient rien de plus qu’un petit tour de passe-passe amusant, elles n’étaient même pas chaudes. Après les avoirs laisser courir un peu sur le métal reluisant, il adressa un regard plein de sérieux, presque froid, droit dans les yeux du guerrier.

-Si vous avez une quête vraiment intéressante, asseyez vous et dites m’en plus, cela m’intéresse. Et s’il vous faut assouvir votre curiosité sur l’efficacité présumée des mages de mon ordre, une petite démonstration sera un réel plaisir. Après ces mots, il se rassainit un peu puis reprit avec une voix douce. Mais peut-être pourriez vous commencer par vous présenter, brave lancier inconnu?

Sur ces quelques mots, il recroisa ses mots et stoppa son petit jeu magique, en attente d’une réponse qui pourrait être convaincante.

*Rigole bien, sale petite fiotte, j'en aurais bien fait de même si mon éducation n'avait pas été hautement supérieure à la tienne...*

Il allait de soi qu'avec une condition sociale plus modeste, il aurait pu se moquer ouvertement du magicien, voire même l'embêter, le raquetter ou pourquoi pas d'autres fantaisies du genre ! Mais il n'en ferait rien malheureusement, bien que cela augmente considérablement son espérance de vie du coup... Cependant, il n'avait pas le temps de s'attarder encore sur la honte apportée sur la famille du mage pour avoir une taffiole pareille comme héritier ; en effet, après le gloussement irritant du gamin, ce dernier s'amusa à faire danser de drôles de petites flammes sur l'armure du guerrier qui fronça les sourcils et serra les mains sur sa lance, prêt à agir au cas où il s'agirait d'une tentative d'agression. Mais il n'en fut rien et lorsqu'il commença à se décrisper, il se retrouva nez-à-nez avec le jeune mage, abordant cette fois-ci le ton calculateur du "marchand trop gras qui essaie s'assure de la qualité de ses arnaques" (selon ses propres termes). Il n'en fallut pas plus à Valentine pour cracher tout son mépris intérieurement tout en étant attentif aux propos de son cadet, son sourire de bon noble de bonne famille de retour sur son visage d'éphèbe.

*Vas-y, tête de mérou, crache ton venin plus rapidement, que je me casse...*

Mais contre toute attente, le gamin semblait réellement intéressé par l'offre d'emploi de Valentine. Second blanc du guerrier qui fut finalement agréablement surpris de l'intéressement du mage. Il redescendit très rapidement sur terre lorsque ce dernier lui demanda de se présenter, chose qu'il n'avait initialement absolument pas l'intention de faire et dont il se serait volontiers passé si le jeune homme en face de lui ne s'était pas montré si motivé. C'est donc avec un sourire sincère de "beau gosse irresistible que je suis" (selon ses propres termes) que le blond répondit, s'inclinant une seconde fois devant l'homme-femme qui se tenait devant lui.

"Pardonnez donc ma maladresse, monsieur Kaomhin, mais je ne me présente rarement face à toutes les personnes à qui j'adresse ponctuellement la parole dans l'exercice de mes fonctions. Il me semble cependant que cela n'est plus notre cas et je vais m'empresser de me présenter comme il se doit. Je suis Valentine Goldenrod, héritier du domaine des Goldenrod et de la Lance d'Or de Ghelle, guerrier au service de Sa Majesté le Roi et de son Royaume. Peut-être devrions nous aller nous asseoir pour discuter, en effet, car je n'ai besoin d'aucune preuve de votre courage et de votre talent. Si vous êtes un mage du Cercle, alors votre force est reconnue auprès de Sa Majesté et cela suffit plus que tout."

*Prend ça dans les dents, coursier du dimanche ! Retourne danser avec tes allumettes, tu es trop jeune pour me défier à ce jeu là !*

En effet, si Valentine risquait d'apprendre qu'il ne valait mieux pas jouer avec le feu, il savait que du point de vue diplomatie et éducation, il était supérieur au jeune homme... Ainsi que du point de vue de la force, de la beauté, du courage... Il est quand même consternant de remarquer à quel point le cerveau peut regresser lorsque l'on se sent protégé. Valentine était ici dans sa ville et bien que ce quartier ne lui soit pas des plus familliers, il savait que tant qu'il serait membre de la famille Goldenrod, il bénéficierait ici d'un statut privilégié.
C'est donc ainsi qu'il proposa au jeune mage de se poser sur un muret, suffisamment à l'écart de la foule pour ne pas être dérangé. Lorsqu'il prit la parole, son ton n'avait pas changé, toujours poli et courtois, conformément à ce qu'on lui avait appris.

"Alors comme ça vous désirez partir à l'aventure ? E-Excusez-moi... Encore une fois, je ne doute pas de votre talent, mais je ne peux vous confier mes projets sans connaitre vos réelles motivations... Je veux dire, pourquoi seriez vous intéressé par une quelconque aventure dangereuse où se trouveraient de nombreux monstres et opportunités de mourir ?"

Alors que c'était exactement ce qui l'avait lui-même poussé à partir à l'aventure, Valentine devait s'assurer qu'il ne ferait pas une deuxième fois l'erreur de compter sur quelqu'un qui se fichait de son but. Si le destin s'acharnait à lui faire rencontrer ce Maokhin de malheur, il fallait qu'il comprenne pourquoi.

Kaomhin comprenait maintenant mieux la situation et l’abrutissante bêtise de l’imbécile qui lui faisait face, c’était bel et bien et fils de noble, un des chevalier du roi en personne. Eh bien, j’espère que « Sa majesté » se contente d’avoir une armoire à glace coiffée comme un gamin de seize printemps comme représentant pour se faire une fierté, parce que s’il comptait sur son intelligence, je crois bien que le royaume serait gouverné par un être rongé par la dépression. Si le jeune mage ne rêvait pas autant de partir à l’aventure et qu’il pouvait laisser passer cette chance peut-être unique, il le ferait sans hésiter, mais bon, un gros tas de muscles comme ça, ça peut servir, c’est un fait. En fin de compte, après avoir, d’une façon très discrète, serré sa lance comme un idiot impulsif, l’inconnu n’en étant plus totalement un, donc appelons le Valentine, proposa enfin de discuter un peu plus, il était hautain et vraiment bête comme une chèvre morte, mais il avait une carrure et une façon d’être bien commune d’un noble.

Après l’avoir suivi, au pied d’un muret où ils pourraient s’asseoir pour discuter un peu, le grand homme put sans mal se poser dessus, la petite taille de Kaomhin le lésait un peu plus pour se mettre sur ce dernier, donc, pour montrer encore qu’il savait se servir de sa magie, il créa de petites flammes, d’une chaleur suffisante pour le soulever, par réchauffement de l’air et le déposer tranquillement sur le muret. Il était fier de sa petite démonstration inutile, mais l’heure n’était plus à l’amusement, il fallait convaincre cette tête de cochon qui devait passer plus de temps à se recoiffer qu’à se battre.

-Et bien, Sir Goldenrod, appelez moi Kaomhin, je n’ai pas la prétention d’être appelé monsieur, je ne suis qu’un magicien, un homme de basse classe après tout. Mais maintenant, il semblerait qu’il soit à moi de répondre à vos questions. Il descendit du muret d’une cabriole vers l’arrière, non pas par arrogance ou par preuve, mais simplement pour s’amuser. Alors, il est vrai que confier le contenu d’une mission, sans doute importante, si elle fut confiée à un homme de votre rang, à un inconnu sans connaître sa valeur et ses ambitions est une folie. J’ai simplement une soif de découvrir l’aventure, voyez vous, la vie à l’académie est fortement réputée pour sa formation mais un homme ne peut pas mesurer sa valeur uniquement devant des mannequins d’entraînement et en se posant derrière ses livres des heures durant. Il me faut aussi désormais me tester en situation réelle et j’avoue qu’un partenaire de votre carrure ne peut être qu’un plus pour moi. Aussi, une mission importante ne pourra être que profitable, aussi bien pour vous que pour le royaume et moi-même. Le fait d’aller vers des « occasions de mourir » n’est en rien un problème, les flammes de mon être sauront m’assurer la survie !

En prononçant cette dernière phrase, sur un ton un peu plus nerveux, il s’entoura de flammes et en levant nettement les bras vers le ciel, paumes ouvertes, une colonne de feu se dressa sur plusieurs mètres, durant quelques secondes. Il était, c’était un fait, assez frustré et plutôt nerveux, voire à la limite de la colère, douter de lui, même en camouflant ces doutes, ne lui plaisait absolument pas.

-Vos yeux trahissent trop aisément vos pensées profondes, Valentine, je lis votre mépris comme je lis mes livres. Mais je ressens votre force, elle n’est pas moindre. Devant ce spectacle flamboyant, avez-vous encore le moindre doute sur qui je suis?!

Les mots sortaient désormais aussi flambants que la colonne qui s’était élevée juste avant, avec une expression plus sérieuse sur le visage du jeune homme que celle qu’il avait présenté plus tôt.

*saleté de morpion, fils de bourge écervelé, il te faudrait ouvrir un livre ou plutôt apprendre à lire un jour, ça te serait utile*

-La puissance de mon ordre n’est pas réputée pour rien, Lancier de Ghyelle, vous pouvez me croire présomptueux, ambitieux, fou ou toute autre pensée peu flatteuse, mais n’oubliez jamais qu’un membre du cercle de feu détiendra toujours en lui une grande force, je n’aurai jamais votre carrure, c’est un fait, amusez-vous en autant que vous le voudrez, je ne connaîtrais jamais la sensation que donne la fierté de ses parents, je ne les ai pas connu et ils ne seront jamais fiers de moi, j’ai été élevé par un homme qui ne jurait que par une chose : la puissance. Alors, mon offre vous est-elle suffisante, maintenant que vous savez que la mort ne me fait pas peur et que je me battrais jusqu’à la saluer directement?

Il se tenait les poings serrés, la colère lui était montée d’un coup, sans qu’il puisse vraiment savoir pourquoi, mais au moins, il savait que son potentiel était immense et aussi que même s’il était très puissant, l’homme en face de lui pourrait lui tenir tête avant de périr sous les flammes.

Enfin, il fixa son regard plein d’envie mais aussi de colère dans celui de son jeune interlocuteur, en attente d’une réponse, favorable ou non.

Dans un premier temps, Valentine fut presque rassuré par le paroles du jeune homme qui lui faisait face. Une tête brûlée qui n'avait apparamment pas peur de se brûler les ailes ne pouvait être qu'un élément flamboyant qui ne manquerait pas de réchauffer l'atmosphère. Cependant, alors qu'il pensait le problème de fiabilité mis de côté, le petit teigneux ne manqua pas de briser une fois de plus les espoirs du guerrier dans une démonstration puérile de puissance. Lorsque la grosse colonne de flamme de Kaomhin s'éleva en trombe dans les airs, réchauffant considérablement l'air ambiant, Valentine prit tout juste la peine de lever les yeux dans un regard de consternation en vue de la réaction de son jeune vis à vis. Sur le coup, il se demanda s'il était même réellement nécessaire de s'acharner à lui faire comprendre qu'il savait que les mages du cercle étaient puissants et qu'à part montrer que son âge mental devait être loin derrière celui de ses congénaires, il ne confirmait aucune hypothèse... C'est vraiment, mais alors vraiment :

*Pitoyable...*

Et l'opinion du lancier doré n'allait pas en s'arrangeant. S'il pensait lire en lui et affirmer qu'il n'avait pas confiance envers les mages, c'est qu'il n'avait décidément rien d'autre que de la prétention et une bonne dose d'arrogance à revendre. L'héritier des Goldenrod n'en pouvait plus de son monologue à la "mord moi le noeud" et s'apprêtait à le couper dans sa tirade lorsque le jeune mage passa du coq à l'âne en évoquant le décès ou l'abandon de ses parents et son éducation à la limite du croyable, même pour quelqu'un d'aussi candide que le guerrier. Voyant que son interlocuteur attendait une réaction de sa part, Valentine prit à son tour la parole d'un air presque blasé, se laissant aller vers l'arrière, en appui sur ses mains. Son sourire était cependant encore présent, lui donnant presque un air moqueur.

"Je sais pas si t'as l'intention de te suicider en prenant la mission comme prétexte, Kaomhin, mais si t'as besoin d'un coup de pouce, je peux t'aider tout de suite... Ne compte pas sur moi pour pleurer ton sort en tout cas, ni pour t'applaudir pour tes talents. Tu es un mage, tu dois être puissant pour ne pas être un fardeau. Il en va de même pour tout compagnon : même si le groupe est puissant une fois coordonné, il n'y a pas de raison de supporter les indivisualités de chacun. Tu veux partir à l'aventure ? Soit, tu partiras. Cependant, tu n'es pour moi ni inférieur, ni supérieur à aucun des mages présents dans ce quartier, chose que tu aurais du savoir en lisant en moi avec tant d'aisance..."

Un clin d'oeil taquin vint pimenter la dernière pique de Valentine. Même s'il n'avait pas menti, il n'avait pas tout dit non plus... Certes il ne considérait pas le mage comme inférieur aux autres, mais il le considèrerait comme un cadet dont il était le chef. Ce n'était pas parce que personne ne l'attendrait chez lui qu'il ne tâcherait pas de le rammener vivant et dans le meilleur état possible. Il le protèrerait sûrement davantage que ses éventuels autres compagnons en raison de leur possible tranche d'âge supérieure à la sienne.
Se redressant sur ses jambes en se tappotant le postérieur pour enlever les impuretés éventuelles qui auraient pu ternir sa belle armure, Valentine termina sa proposition dans un sourire de franche camaraderie.

"Alors... Dis moi "Kaomhin-tout-court", est-ce que tu serais prêt à partir à l'assaut de la très légendaire tour des âmes accompagné d'une tête de mule de lancier à la carure de rêve ? Si oui, je te conseille de courir très vite chercher les affaires dont tu auras besoin car j'ai l'intention de partir ce soir. Si tu ne peux pas tout porter, je t'accompagnerai dans tes appartements pour... Ben, pour tout porter... Alors, quelque chose à redire ?"

Les deux mains sur les hanches dans une pose triomphale, le lancier laissait bien son sens du spectacle apparaitre. S'ils paraient ensemble, même une scène de ménage quotidienne comme la découpe d'une tranche de pain risquait de devenir une scène héroïque déchainant les passions des futures générations... Bref, le destin, ce que j'en dis...

Après cette démonstration d’impulsivité, certes pleine de puissance, mais d’un ridicule encore plus puissant, Kaomhin lui-même avait du mal à ne pas rire de lui-même, tellement il se trouvait bête. Mais bon, après tout il fallait bien que jeunesse se fasse, il était mage du cercle, certes, mais il restait tout de même un jeune homme d’à peine dix-huit printemps avec une éducation qui n’a pas été axée sur les règles de bienséance.
En prenant la parole, il ne put s’empêcher de lâcher quelques éclats de rire, tellement il s’était trouvé lui-même ridicule… et si ce beau parleur n’était pas si bête qu’au premier abord ?

-Eh bien, Valentine, j’avoue que je ne peux pas me qualifier autrement que « ridicule » pour cette piètre prestation. Mais trêve de plaisanteries, vous dites vouloir partir dès ce soir pour… la…T-Tour des âmes… Il était vraiment impressionné par l’ampleur de la tâche désormais et marquait pour le coup une hésitation de quelques petites secondes, il ne s’y était jamais rendu lui-même mais savait bien que la mission serait très difficile. J’accepte la mission avec un grand plaisir, l’aventure ne sera que plus intéressante avec un tel objectif. Sois sans craintes, je ne me considère pas supérieur à un autre homme, ni à un mage, ni à un guerrier, aussi fort –ou faible- soit-il.

Désormais, il pensait pouvoir arriver à un terrain d’entente avec le noble imbécile éternel que sera Valentine pour lui. Il lui faudra donc l’accompagner dans une attaque au-delà de l’imaginable, la Tour des âmes elle-même était le but de leur expédition, quel renom incroyable il pourrait en tirer avec cette première aventure, quel honneur d’être l’heureux élu pour une telle mission aussi, il était désormais conscient de sa chance, l’aventure lui tendait la main et il allait enfin la saisir.

-Alors concernant mes affaires, je n’ai pas grand-chose à prendre, je n’ai pas de lourde armure ou d’armes titanesques à transporter, il me faut juste récupérer une ou deux tuniques supplémentaires et la carte qui dort à la bibliothèque de l’académie, le tout ne pèse que quelques livres, ce n’est pas bien impressionnant. Je peux également empaqueter quelques vivres si vous jugez qu’il en faut, chère « tête de mule de lancier ».

Sur cette petite touche humoristique, il passa à côté de l’homme et lui posa, au passage, une main sur l’épaule amicalement, en se dirigeant vers ses quartiers personnels. La quête risquait de durer un temps, c’est un fait, mais l’expérience obtenue au fil de ce cheminement vers la renommée n’était sans doutes pas moindre. Il avançait donc tranquillement vers sa chambre, pour y emballer trois tuniques propres, identiques à celle qu’il portait actuellement, sans vraiment faire attention à Valentine, il n’avait même pas fait attention à si il l’avait suivi ou pas d’ailleurs, il revint au point de rencontre une dizaine de minutes plus tard, avec ces bagages emballés sur les épaules.

-Me voilà prêt, ami. Alors, des vivres supplémentaires à prendre avant de partir ou non ?

Ces mots étaient prononcés avec une certaine douceur, mais il avait oublié qu’il lui manquait encore une chose pour voyager… un destrier. Tout de même par soucis du détail, il ne manqua pas d’ajouter une question pour s’assurer de ne pas faire d’oubli.

-Vous qui semblez connaître la voie de l’aventure, ai-je pris tout ce qu’il me faut ?

Un sourire satisfait illuminait le visage du blond dont la carrure et la prestance n'avaient d'égal que sa candeur et ses ambitions. Il ne fut donc pas étonné de voir la surprise se peindre sur le visage de son nouveau compagnon de route lorsqu'il évoqua la Tour des Âmes ; bien au contraire, sa réaction le gonfla d'orgueil, pui qui avait relevé le défi le plus difficile connu à ce jour et s'en donnait les moyens. Quelque chose dans l'attitude nouvelle de son allié le mit en confiance quant à la suite des événements. Etait-ce l'excitation qu'il avait vu dans les yeux du mage à l'idée de voyager enfin ? Etait-ce la main amicale qui confirmait la création de ce qu'il appelait "un groupe" ? Ou était-ce l'appellation d'"ami", mot qu'il n'avait en réalité que très peu entendu dans sa vie et qui était signe pour lui d'une réelle alliance entre leurs âmes ? Aucune idée, sans aucun doute les trois contribuaient à l'état de jubilation dans lequel se trouvait le guerrier à l'armure dorée qui n'avait même pas réagi lorsque le mage s'absenta pour aller chercher ses affaires. Il ne se posa même pas de question en le voyant revenir avec trois babioles insignifiantes et un quignon de pain ridicule.

*Aaaah... Les pauvres... M'enfin, tout le monde ne peut pas être riche, il faut de tout pour faire un monde !*

Bien que la question puisse se poser sur la nécessité réelle pour le monde d'avoir de riches prétentieux hautains blondinets comme habitants, personne ne pouvait remettre en doute l'ambiance bonne enfant qui était née dans le duo. L'un comme l'autre avaient l'air de gamins dans une grande cour de récré jouant aux aventuriers avec des épées en bois. Sauf que la cour était à l'échelle mondiale, que le jeu était mortel et les armes bien réelles. C'est d'ailleurs en empoignant sa superbe lance que le guerrier s'apprêta à voyager dans des contrées aussi lointaines qu'inconnues avec son nouveau compagnon. Son autre bras levé vers le ciel en signe de triomphe, l'héritier des Goldenrod commença à faire route une dernière fois vers la demeure de ses ancètres. D'une voix confiante et gonflée d'orgueil, il annonça la première étape de leur long et tumultueux périple.

"Allons-y, partenaire ! En avant vers le nord ! Loin vers le nord, là où les neiges éternelles ont toujours existé ! Nous passeront chercher Lune-Argent, ma jument et un cheval de ton choix dans mes écuries, nous feront route juste après... Tu sais monter à cheval au moins ?"

Un sourire malicieux sur le visage, il regarda en coin le mage à la longue chevelure sans vraiment attendre de réponse. En lui, il souhaitait que celle-ci soit négative afin de s'amuser à le taquiner en route. Bon sang, qu'il serait agréable de ne pas faire chemin en solitaire... C'est en quittant la ville pour sa seconde fois que Valentine sentit l'avenir se déployer devant lui.

» Lui, c'est moi. Elle, c'est eux. Nous sommes je.