La quête de l'assassin malgré lui -Haiael et Gabriella del Luna-

Il étira ses bras en étouffant un bâillement, puis jeta un oeil à la grande fenêtre ouvrant sur l'extérieur. Le temps ne changeait pas... Neigeux, comme d'habitude. Ca commençait à devenir lassant, mais bon d'un autre côté c'était nécessaire pour... un certain projet. Et tout puissant qu'il fût, il n'avait pas voix au chapitre sur ce coup là. En attendant, il n'en restait pas moins beaucoup de travail à faire, et en dehors de s'amuser à des paris débiles avec la grande prêtresse, une bonne part de ce boulot lui incombait. A grande responsabilité, grande implication forcément. Bon, il pouvait toujours déléguer... Après tout, la grande prêtresse était passée maître dans l'art d'envoyer des aventuriers accomplir le sale boulot, histoire de se laver les mains de toute sombre affaire. Allen ne répugnait pas à faire les basses tâches, mais quand il y en avait trop, membre du conseil ou pas, impossible de suivre le rythme. Pris d'une inspiration soudaine, il se leva et repoussa les immenses portes de la salle du conseil avant de s'avancer d'un pas déterminé dans les couloirs déserts de la tour des âmes.

Arrivant silencieusement derrière un garde qui roupillait à moitié, il lui tapota l'épaule, ce qui rendit immédiatement tous ses moyens à l'homme. Il bafouilla un mélange de salut respectueux et d'excuses, ce à quoi le guerrier lui répondit par un regard de glace, levant simplement la main pour le faire taire. Il prit ensuite la parole d'une voix sombre et basse, menace à peine voilée si le garde ne suivait pas ses ordres à la lettre.

« Il me faut un ange. Débrouillez-vous comme vous voulez, mais trouvez-moi un jeune ange bien innocent qui boira mes paroles comme de l'eau. Vous me l'enverrez ici. Ensuite, il me faudra un guerrier un peu plus expérimenté. Pisteur ou traqueur de préférence, capable de suivre quelqu'un sans se faire repérer... Mais pas un ange celui-là hein ! »

Le garde voulut prendre la parole, mais que ce soit pour acquiescer ou émettre des objections, Allen ne souhaitait pas l'écouter. Il leva la main en fixant le garde, qui ravala ses paroles et s'empressa de sortir chercher les aventuriers demandés. Le guerrier le suivit du regard jusqu'à ce qu'il tourne à un angle du couloir, puis revint d'un pas nerveux dans la salle du conseil. Il avait du pain sur la planche.

Des lettres, encore des lettres, des rouleaux, des parchemins en tout genre, des avions en papier (oui, ça, c'est des messages et des prières bâclées, on reçoit même parfois des boulettes de papier froissé, tellement c'est du "vite fait, bien fait") et... Tiens ?! Un coffret muni d'une serrure soigneusement ornée, un brin alambiquée. De nature très curieuse, la jeune ange colla son oreille contre la paroi et pencha délicatement la boîte mystérieuse d'un côté, puis de l'autre. Un léger roulement se fit entendre. Elle soupira lorsqu'elle vit sur le couvercle "Gabriel". Ce péteux recevait toujours des trucs chouettes, des missions passionnantes et des récompenses à pelle. Haiael n'appréciait pas vraiment son congénère qu'elle considérait comme hautain, méprisant les séraphins, les traitant comme des larbins, des bonnes à tout faire. Ce n'était pas ce que lui, du haut de son petit nuage, était paladin, qu'il pouvait tout ce permettre. L'angelot à la chevelure violacée se mit à ronchonner et posa la boîte sur le nuage à destination de son propriétaire.

Soudain une petite lettre, toute riquiqui, apparut avec un petit "plop" à peine audible, dans son bac de tri, alors que ça faisait dix minutes que la levée était passée. Elle aurait dû atterrir dans le bac de son collègue. Intriguée, deux de ses longs doigts fins et soigneusement manucurés attrapèrent dans sa chute le minuscule message qui apparemment lui était destiné, car un H majuscule y était inscrit. Une écriture un peu baveuse, un mot griffonné où on pouvait déchiffrer (Parce c'était vraiment très mal écrit ! Ça piquait presque les yeux) "Pourvu qu'un ange comme il faut me réponde... Sinon je suis cuit." La seule réaction d'Haiael fut un haussement assez marqué de son sourcil droit. C'était quoi cette prière à la mord-moi-l'pif ? Depuis quand on priait un ange de cette manière ? Tsss ! Où allait le monde ?

Un claquement de doigt suffit et un cercle brumeux se forma verticalement, son centre devenant de plus en plus limpide. On y voyait un homme, un humain, habillé d'une armure légère, certainement un garde, faire les cent pas. Il marmonnait ennuyé, fixant le sol. Haiael sourit, il était apparemment dans une situation pas très confortable. Tout à coup, l'homme se redressa, comme s'il venait d'avoir une idée. Sortit de sa poche un répertoire dont la couverture indiquait qu'il s'agissait de "l'annuaire" officiel des créatures vivant dans ce monde. Son doigt boudiné parcourut les pages et s'arrêta à un nom. Il sembla le prononcer, un sourire jusqu'aux oreilles. Bizarrement, la séraphine ne le sentait pas du tout. Ça sentait le coup foireux à plein nez. Qu'est ce qu'il lui voulait ? A peine avait-elle entamé son mauvais pressentiment que le picotement caractéristique d'une invocation se fit sentir. Ça commençait toujours dans son coeur, grandissant à une vitesse folle, touchant son buste, son ventre, ses hanches, ses jambes en même temps que ses épaules, ses bras, son cou, puis terminant par sa tête jusqu'à la pointe de ses six ailes. Puis "pouf" ! L'entité quittait le paradis pour atterrir en Bas, dans une explosion silencieuse au milieu de quelques nuages, embarqués au passage. Le temps que la brume se dissipe et hop ! Un ange tout chaud ! Ou pas...

La pièce dans laquelle l'ange messager avait été appelé était assez spacieuse, d'un blanc immaculé, munie de grandes fenêtres laissant voir la neige tomber des cieux. Un seul homme, celui qu'elle avait observé, se tenait face à elle, visiblement surpris. Sourire radieux, voletant gracieusement autour du mortel, à une bonne distance quand même (sait-on jamais). L'angelot demanda avec une voix veloutée, tellement douce qu'on aurait envie de s'y blottir pour la fin de ses jours :

Bonjour garde. Tu m'as appelée. Je suis Haiael, ange messager. Que puis-je faire pour toi ? As-tu un message à délivrer ?

Vu la tronche effaré qu'affichait le bonhomme, la jeune ange avait du le choquer. Beh quoi ? Il n'avait jamais vu d'ange de sa vie ? Sa tête ne lui revenait pas ? Tant pis pour lui, elle n'était pas changeforme et son visage, à son goût était bien comme il était. Sa tenue ? Peut-être. Vue qu'elle était pas vraiment réglementaire, cachant le minimum, dans les tons de rose-violet et blanc. Ça devait être ça, quoi que... Un long temps s'écoula, le pauvre type figé de stupeur, l'ange immobile flottant à un mètre du sol, face à lui. Elle était patiente, mais l'appeler pour rien, avait vraiment le don de l'agacer au plus haut point. Elle demanda de la même voix :

Bon, alors ? T'accouches ? J'ai pas que ça à faire, j'ai du tri qui m'attend Là-Haut ! Aller, on se décoince et on dit tout à Haiael, avant qu'elle s'en aille de mauvais poil.

Le rendu timbre de voix-paroles prononcées était assez choquant. Mais c'était comme ça, sa manière de parler était la sienne, propre à sa personnalité et sa voix était celle d'une ange. Certes, y a contraste, mais ça, on y peut rien. Le pauvre garde s'anima, paniqué, vraisemblablement pas très réveillé, il sprinta vers la porte en hurlant un truc qui ressemblait vaguement à ça :

Reystéeuh làààààààààààààààààààààà ! Conseyllllllllééééééé Testriiiiiiiisssssssss !

Ce numéro étrange fit éclater de rire l'angelot. Le pauvre bougre devait avoir eu une peur blanche. Ayant finalement décrypté le message beuglé, la jeune femme patienta calmement, séchant ses larmes de fou rire, assise dans le vide, les jambes croisées. Elle verrait bien ce qu'on lui voulait. Si ça tournait mal, elle s'en irait sans demander son reste. Pauvre Haia, si tu savait ce qui t'attendait...

Voir un ange, ça fait toujours quelque chose. Quand il s'agit d'un angelot, tout jeune, frêle et innocent, certains ont les larmes aux yeux. D'autres veulent montrer leur manque de pitié et leur cruauté, aussi ils masquent leur visage et s'ingénient à faire paraître leurs cicatrices de guerre. Allen, lui, se grattait le nez. Mais c'était peut-être parce-que son nez le démangeait, aussi. Il s'approcha rapidement de la séraphine, et se composa un visage de circonstance. On ne devenait pas un maître en négociations sans gérer parfaitement ses expressions... Un mine un peu déconfite, celle d'un homme ayant vieilli prématurément sous le poids accablant d'un digne et dur labeur apparut sur ses traits, sa posture se voûtant un peu, sans que ce soit trop gros non plus, juste à la limite du perceptible. Il s'arrêta un moment pour tousser dans le creux de son coude droit, puis se redressa un peu et fixa l'ange d'un regard implorant.

« Ooh vous êtes venue, merci ! Merci mille fois ! »

Après avoir fait briller son regard le temps qu'il jugea nécessaire, le guerrier sortit de derrière son dos une petite boîte délicatement ouvragée, des sculptures de volutes parcourant les rebords avec une grâce certaine. Il la tendit respectueusement devant lui, et reprit la parole.

« Vous seule pouvez m'aider... Il faut que vous apportiez cet objet à mon vieil ami Enaldir, dans les montagnes des nains ! Ce sont les cendres de son pauvre père, qui fût mon mentor... Surtout n'ouvrez pas la boîte en chemin, sinon les cendres s'éparpilleront ! Je vous en prie, rapportez-lui, cela me soulagerait d'un immense poids ! Et je vous récompenserai grassement pour ce service... »

Plaçant la boîte dans les mains délicates d'Haiael, il lui prit l'épaule avec une main qui n'avait plus rien de faible ni d'âgé, et lui susurra à l'oreille :

« Tu devras faire cinq posts d'au moins trente lignes chacun, tu ne devras pas ouvrir le boîte avant de l'avoir remise au nain Enaldir, et tu ne devras pas rester avec lui lorsqu'il l'ouvrira. Une fois ta mission accomplie, cherche-moi en salle du conseil. Si tu ne m'y trouves pas, va au palais de Ghyelle et demande le conseiller Destrys. Précise que c'est au sujet d'une quête, et on te mènera à moi. A présent, va ! »

Repartant sans jeter un regard en arrière dans les couloirs de la tour des âmes, Allen se frotta les mains. Plus que le traqueur et le compte serait bon...

« Monsieur, monsieur, les candidats sont là !
_Quels candidats ? Je vous ai demandé un seul traqueur, pas un concours de talents voyons...
_Eh bien...
_Alors faites votre choix. Proposez-moi ce qui vous semble être le meilleur élément.
_Bien monsieur. Euh... Je crois que... Oui, il s'agira d'une elfe dans ce cas. »

Allen leva un sourcil intrigué, et arrêta le garde qui s'apprêtait à repartir chercher l'aventurier en question.

« Une elfe dites-vous... Elle est déjà venue ici non ? A-t-elle un serpent autour du cou ?
_Je... Je ne sais pas monsieur, je n'ai pas remarqué...
_Evidemment, évidemment... Je viens avec vous Iric. »

Emboîtant le pas au garde qui semblait surpris et surtout très gêné qu'un membre du conseil le suive dans son travail et connaisse son nom alors qu'il ne l'avait jamais révélé à quiconque, Allen se composa un visage assez fermé. Il n'aimait pas beaucoup la prétention des elfes et en avait éliminé un certain nombre par le passé sur des... malentendus. Mais force était de constater que leurs capacités étaient impressionnantes, c'était une chance qu'une telle opportunité se présente à la tour, aussi valait-il mieux éviter de froisser l' oreilles-pointues avec de la fierté mal placée.

Il arriva dans la salle dans laquelle patientaient un certain nombre d'aventuriers et les regarda tous un par un, tandis qu'Iric s'effaçait derrière lui, ne sachant pas trop où se mettre. Allen se retourna et fit un signe de tête au garde, qui s'empressa de faire sortir les candidats à l'exception de l'elfe, les dirigeant vers d'autres quêtes proposées par d'autres membres du conseil. Le guerrier resta un moment à regarder la rôdeur en silence, immobile et le regard fixe. Au bout de quelques secondes, il inclina imperceptiblement la tête. Simple signe de respect de combattant à combattant. Il n'y aurait pas de mensonges dans le discours d'Allen, si l'on exceptait ceux produits par l'omission...

« J'ai une quête pour toi, aventurière. Gérer un royaume en évitant le plus possible les morts et les combats ne se fait pas sans un certain nombre de sacrifices... Un nain du sud, Enaldir le Sage, s'apprête à livrer ses troupes aux démons. Son âme a depuis longtemps été consumée par les flammes noires d'une succube, mais son peuple croit en lui et cela causera leur perte si nous n'intervenons pas. Une ange vient tout juste de partir avec un explosif magique enfermé dans un coffret en bois ouvragé, elle le livrera à Enaldir, mais elle n'est au courant de rien. C'est nécessaire car tous ceux qui s'approcheront du chef verront leur coeur contrôlé par des oracles de haut niveau. Le coeur de l'ange est pur et ses intentions ne sont pas mauvaises, elle passera facilement ses barrières là. De même, l'explosif n'a pas été amorcé car il serait immédiatement repéré par les capacités magiques des oracles. »

Allen tendit un petit morceau de métal cylindrique à l'elfe, avant de continuer.

« Ceci est une amorce magique qui active la poudre à distance. Voici ta mission : protège l'ange à son insu durant tout le voyage jusqu'aux terres du sud, et une fois qu'elle aura livré le coffret, jette l'amorce dans n'importe quel feu, ce peut être un feu de camp que tu auras toi-même allumé. Attention ! Si la moindre flamme approche de l'amorce alors que le coffret est toujours dans les mains de l'ange, c'est elle qui mourra ! »

Allen planta ses yeux dans ceux de l'elfe, et poursuivit avec une voix qui perdait ses intonations de négociateur pour se concentrer sur de la stratégie pure et dure.

« Si tu t'approches trop de la forteresse d'Enaldir dans les montagnes, les nains te trouveront et te tueront. Si tu ne t'approches pas assez, l'ange mourra certainement d'un démon qui aura senti son aura. A toi de trouver le juste milieu. Et surtout ne fais montre d'aucune pitié si tu croises un nain se rendant à la forteresse. Que ce soit un enfant, une femme, un nain des plus honnêtes et des plus bienveillants, s'il raconte à la forteresse qu'il a vu une elfe dans les parages, Enaldir se doutera de quelque chose, et l'ange pourra dire adieu à la vie. »

Le conseiller royal lâcha alors ses derniers mots dans un souffle :

« Tu devras faire au moins sept posts d'au moins quarante lignes chacun. Si l'ange se fait tuer, si Enaldir est au courant de ta présence en ses terres ou si l'ange apprend le véritable but de sa mission, tu auras échoué à ta mission. Après la mort d'Enaldir, libre à toi de faire ce que tu veux de l'ange... Rentre à la tour des âmes avec l'amorce magique qui sera devenue rouge après avoir été déclenchée par le feu. Trouve-moi et tu auras ta récompense. Bonne chance aventurière... »

Allen réitéra son petit signe de respect de la tête, puis quitta la salle. Tout était entre les mains de ces deux-là maintenant...